Qu'est-ce qu'une intelligence ?

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Photo de Howard Gardner
La question de la meilleure définition possible de l'intelligence occupe une grande place dans notre enquête.

De fait, c'est à ce niveau que la théorie des intelligences multiples rompt avec la tradition, qui définit l'intelligence d'une manière opératoire, comme l'aptitude à répondre aux items des tests d'intelligence. On déduit des résultats aux tests l'existence d'une capacité sous-jacente, en s'appuyant sur des techniques statistiques comparant les réponses de sujets d'âges différents.

La théorie des intelligences multiples, quant à elle, diversifie cette conception traditionnelle. L'intelligence y implique la capacité à résoudre des problèmes ou à produire des biens ayant une valeur dans un contexte culturel ou collectif précis. La compétence à résoudre des problèmes permet d'aborder une situation dans laquelle un but doit être atteint, et de déterminer le chemin approprié pour y parvenir. La création d'un bien culturel est essentielle pour des fonctions telles que l'acquisition et la transmission d'un savoir, l'expression d'une idée ou d'un sentiment. Les problèmes à résoudre vont de l'invention de la fin d'une histoire à l'anticipation d'un mat aux échecs, en passant par le raccommodage d'un édredon. Les biens vont des théories scientifiques aux compositions musicales en passant par les campagnes politiques victorieuses.

La théorie des intelligences multiples est construite à la lumière des origines biologiques de chaque compétence de résolution de problème. Seules seront traitées ici celles d'entre elles qui sont universelles et valent pour toute l'espèce humaine. Même ainsi, la prédisposition biologique qui participe d'une procédure spécifique de résolution de problème doit être rattachée à une éducation culturelle dans le domaine concerné. Par exemple, le langage, compétence universelle, peut se manifester en tant que tel sous la forme de l'écriture dans une culture donnée, de l'art oratoire dans une autre, ou de la langue secrète des anagrammes dans une troisième.

L'intention de sélectionner des intelligences enracinées dans le biologique et possédant une valeur dans un ou plusieurs contextes culturels étant posée, comment identifie-t-on une « intelligence » dans la pratique ? Pour constituer notre liste, nous avons utilisé des données empiriques provenant de différentes sources : les connaissances portant sur le développement normal et le développement des surdoués ; celles portant sur l'altération des capacités cognitives en cas de lésion cérébrale ; des études concernant des populations spécifiques comme les prodiges, les « idiots-savants» ou les enfants autistes ; des données empiriques sur l'évolution de la cognition au cours des millénaires ; des descriptions transculturelles de la cognition ; des études psychométriques, y compris l'analyse des corrélations entre les tests ; et des études psychologiques sur l'apprentissage, en particulier les mesures de transfert et de généralisation entre les tâches. Seules les intelligences satisfaisant à une majorité des critères, ou à tous, ont été retenues comme fiables. On trouvera dans Frames of Mind (1983) une discussion approfondie de chacun de ces critères, ainsi que des sept formes d'intelligence proposées ci-dessous. Ce livre traite également des arguments opposables à la théorie, et compare celle-ci à d'autres modèles concurrents.

En plus des critères déjà mentionnés, chaque intelligence doit comporter un noyau opératoire (un ensemble d'opérations) identifiable. En tant que système de traitement à base neuronale, chaque intelligence est activée ou déclenchée par certains types d'informations, externes ou internes. Par exemple, un des noyaux de l'intelligence musicale consiste à avoir «de l'oreille», tandis qu'un de ceux de l'intelligence langagière est la sensibilité aux caractéristiques phonologiques.

Une intelligence doit aussi pouvoir prendre forme dans un système symbolique de codage - système de significations, culturellement déterminé, qui capte et véhicule d'importantes formes d'informations. Le langage, la représentation graphique et les mathématiques ne sont que trois systèmes symboliques quasi universels, indispensables à la survie et à la productivité humaines. La relation que nous établissons entre une intelligence éventuelle et un système symbolique créé par l'homme n'est pas fortuite. De fait, l'existence d'une capacité centrale de traitement anticipe l'existence d'un système symbolique qui l'exploitera. S'il est éventuellement possible qu'une intelligence fonctionne sans système symbolique d'accompagnement, une caractéristique essentielle de l'intelligence humaine paraît être sa tendance à se concrétiser symboliquement.

 

Extrait des « Intelligences multiples – Une théorie qui bouleverse nos idées reçues » d’Howard Gardner.