Maîtriser sa voix : l'interview de Linda Bsiri

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Photo de Linda Bsiri
Linda Bsiri, auteure du Guide de la voix à l'usage des enseignants, revient pour nous sur l'importance de la maîtrise de la voix dans la transmission des savoirs.

1) En quoi l’utilisation de la voix est-elle si importante dans la transmission des savoirs ?

L'utilisation de la Voix est essentielle dans la transmission des savoirs parce que l'enfant, l'adolescent, l'adulte, lorsqu'il entend un enseignant, reçoit une information qui ne va pas uniquement être analysée par le cerveau cognitif, mais aussi par d'autres parties du cerveau plus archaïques. Ainsi, il perçoit aussi dans la voix les émotions qu'elle contient, tout simplement parce que la voix passe par le corps: un enseignant n'est pas une machine.

Ces émotions perçues vont parasiter l'écoute.

Lorsque l'enseignant est fatigué, la voix est « fatiguée », stressé, la voix exprime le stress souvent en se perchant, angoissé, elle se « bloque » au niveau de la gorge, et tout le cortège des états émotionnels du locuteur est perceptible dans sa voix. Les enfants y sont particulièrement sensibles parce qu'ils absorbent, tels des éponges, un grand nombre d'informations, et bien sûr, ils réagissent… D'où certaines agitations de classe ou somnolences. Par exemple, dans les extrêmes : une voix grave monocorde va « endormir », un registre aigu va « réveiller » voire agiter.

Chaque personnalité a sa voix propre, il ne s'agira donc pas de modéliser sa voix mais d’éliminer les tensions qui vont générer fatigue pour celui qui parle et désagréments pour celui qui écoute.

Lorsque la voix est agréable, posée, sans tension, l'écoute ne va pas être parasitée par les émotions perçues, et l'attention de l'élève va se porter sur le cours lui-même. La communication entre l'enseignant et l'élève devrait être plus sereine.

Une voix dite posée implique un certain confort vocal pour l'enseignant. Être à l'aise avec sa voix implique moins de fatigue, et le grand plaisir de capter l'attention de son auditoire.

De plus, dans l'enseignement supérieur, l'utilisation du micro gagnerait à être connue, et ne l'est pas.

On ne parle pas de la même façon avec une amplification du son. Là encore il s'agit d'une technique, comme à la radio, où j'ai appris l'art du micro avec un premier métier sur les ondes de FIP et de France – Musique, ce qui m'a permis de faire mes études musicales. Soit dit en passant, l'art du micro s'est un peu perdu aujourd'hui …

 

2) Les troubles de la voix sont-ils fréquents ? Quels sont-ils ?

Parler longtemps demande beaucoup d'énergie, et sans connaissance pratique, cette énergie n'est pas économisée.

Les enseignants connaissent hélas trop bien les troubles de la voix, qui vont de la simple irritation, qui se manifeste par le petit raclement de gorge ou le « toussotis », à la pathologie du nodule sur une corde vocale, ou même une surdité partielle.

Je ne passerai pas en revue les définitions médicales des laryngites, pharyngites, trachéites, et autres réjouissances de ce type. Disons d'une façon générale que toutes ces pathologies se situent dans la zone du conduit vocal et qu'elles pourraient la plupart du temps être évitées grâce à une connaissance pratique de la voix, et des conseils de prévention concernant l'environnement (air trop sec, trop humide, allergies, etc.)

La pathologie extrême du nodule sur les cordes vocales vient de leur mauvaise utilisation, c'est à dire d'une tension et d'un frottement permanent. Exemple : pour commencer un son, soit les cordes sont fermées, l'une serrée contre l'autre, soit entrouvertes. La voix est très différente dans l'un ou l'autre cas, et la tension exercée aussi.

Un exercice simple permet de prendre conscience des deux modes de fonctionnement, et de rectifier les défauts, pour le bien-être du locuteur et le plus grand plaisir des auditeurs!

Souvent, avec l'expérience sur le terrain, les enseignants se débrouillent avec leur voix, mais à quel prix! Beaucoup aussi font partie de chorales, ce qui leur donne heureusement le plaisir d’explorer leur voix.

Aujourd'hui, il est grand temps de cesser de penser que les troubles de la voix sont une fatalité inhérente au métier d’enseignant.

La voix est un outil essentiel à la communication, la connaître est indispensable pour en faire un instrument merveilleux au service de tous.


3) Comment atteindre le bien-être vocal ?

Pour atteindre le bien-être vocal ou, plus modestement, un certain bien-être vocal, il faut et il suffit- dirait le professeur de mathématiques – de connaître sa voix. Or la connaissance de la voix n’est pas innée. Elle s'exerce dans la pratique en tenant compte des paramètres de la voix.

Ces paramètres sont la respiration ample, la posture (les mêmes 5 entrées posturales qu'en kinésithérapie = pieds, hanches, mâchoires, oreilles, yeux), la résonance (amplification interne du son), l'articulation sonore (voyelles et consonnes); puis découlant de ces paramètres principaux, les registres, l'intensité et le rythme qui appartiennent au discours. Écrits, ces paramètres ont l'air bien complexe... En fait, lorsque l'on explore la voix de façon pratique, ils s'éclairent et deviennent évidents.

Par exemple, retrouver une vraie respiration va non seulement considérablement influer sur l'émission d'un son, parce qu'elle va l'alimenter, mais elle va aussi influer sur la santé grâce à l'oxygénation des muscles, du sang, du cerveau, et procurer une détente profonde.

Et il en va de même pour chacun des paramètres de la voix, qui vont avoir une influence sur bien d'autres aspects du quotidien.

De plus, la méthode adaptée aux enseignants que j'ai créée en co-animant des ateliers avec des conseillers pédagogiques permet, grâce aux jeux, la transmission aux enfants… Et au passage, il est bon de savoir que la technique de la voix chantée et de la voix parlée est la même!

Une formation sur la voix en cursus initial, puis en formation continue, éviterait bien des désagréments inutiles aux enseignants, leur donnerait même de l'énergie. La transmission des savoirs et la communication avec les élèves s'en trouverait aussi améliorée.

En attendant ces formations, Retz organise des conférences autour du « Guide de la Voix à l'usage des enseignants » que je propose de compléter par deux modules d'ateliers pratiques : « Parler sans fatigue », et « Capter l'attention ». Un ouvrage à destination des formateurs est en préparation.