Le stress au travail : interview de Dominique Steiler

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Photo de Dominique Steiler
Dominique Steiler, grand spécialiste français du stress professionnel, répond à nos questions pour nous donner des pistes de réflexions sur le stress en entreprise : comment le comprendre ? Comment le mesurer ?

1. Le stress est-il inévitable pour être efficace ?

Cette question est très souvent au cœur du débat et deux parties s’affrontent.

D’un côté, le patronat qui a tendance, de manière ambivalente, à penser qu’une personne sous stress devrait réussir à donner le meilleur d’elle-même, tout en considérant le stress comme une pathologie individuelle.

De l’autre, les partenaires sociaux qui ne voient dans le phénomène qu’un déséquilibre organisationnel. Les choses sont évidemment plus complexes que cela, mais si nous sommes aujourd’hui sûrs d’un fait, c’est que le stress ne permet d’être efficace qu’à court terme en situation «de survie» et ne peut en aucun cas fournir une performance durable. C’est en état de bien-être associé à une activation adéquate que la personne peut offrir sa meilleure performance à long terme.

 

2. Est-ce le même stress pour les managers, les employés, les sportifs de haut niveau ? Peut-il y avoir du «bon stress»?

De manière générique, le phénomène de stress est le même pour tous, il fait partie de notre bagage génétique. Par contre, ce qui va changer, ce sont les causes potentielles, le contexte dans lequel il va survenir, les capacités de la personne à y faire face efficacement et les conséquences personnelles ou organisationnelles.

Ainsi, de manière rapide, le stress du cadre dirigeant est souvent lié à son isolement et l’impression que tout repose sur ses seules épaules, sans possibilité de soutien. Pour le manager intermédiaire, c’est plus l’impression d’être coincé entre le marteau et l’enclume. Enfin, pour l’employé ou l’ouvrier, les causes sont plutôt centrées sur le manque de contrôle ou de latitude décisionnelle quant à sa propre vie professionnelle. Il ne décide rien de ses activités ou de ses temps de repos. Dans le langage commun, un employé qui parle de stress ne dit jamais qu’il va bien. C’est la première chose à considérer. Le bon stress serait le niveau d’activation optimal pour permettre la performance la meilleure… mais commun juger de cela ?

 

3. Quelle est la position de la France concernant le problème du stress ? Quels sont les pays modèles en termes de gestion du stress ?

Notre pays a mis un temps relativement important à réagir face au phénomène de stress au travail quand d’autres pays européens étaient déjà «sur le pont».

Il semble que les pays nordiques soient les plus avancés dans ce domaine, certainement parce qu’ils ont une vision très large et systémique des choses. On retrouve ainsi de très bons travaux sur la gestion du stress dans l’enseignement, pour les élèves comme pour le corps enseignant en Finlande. La Norvège a intégré depuis très longtemps l’approche ergonomique du stress, elle a évité ainsi de nombreux troubles musculo-squelettiques et la Suède a été l’un des premiers pays à légiférer sur la question.

On peut cependant espérer que les efforts du gouvernement viendront se conjuguer à la prise de conscience plus large des personnes, employeurs et employés, pour progresser dans ce domaine.

 

4. Comment sensibiliser les entreprises à leur responsabilité sociale vis-à-vis du stress ?

Cette question est apparue très tôt pour les spécialistes du domaine, convaincus qu’ils étaient de l’ampleur du phénomène et dépités du faible investissement des entreprises en la matière. Plusieurs niveaux de réponse ont été mis en œuvre et chacun a apporté sa contribution. Il en est ainsi de la sensibilisation à l’impact financier du stress professionnel, premier argument employé.

Les études sur les coûts du stress ont permis une réelle prise de conscience des acteurs et la compréhension des pertes qu’il pouvait provoquer. Les décisions gouvernementales ont bien entendu leur rôle à jouer, même si dans un premier temps elles peuvent être perçues comme des contraintes. L’insistance mise sur les démarches préventives, par les chercheurs et les entreprises impliquées, commence à porter ses fruits. Le coaching et plus largement le développement personnel est certainement un facteur encore bien peu exploité et pourtant au cœur du sujet.

Enfin, l’ampleur du phénomène « développement durable » est petit à petit en train de faire son chemin et, si le volet social n’a pas encore complètement pris sa place, la société dans son ensemble commence à percevoir combien l’économie, l’écologie ET le bien-être de l’homme sont au cœur du futur de nos vies.

 

5. Vous êtes un grand spécialiste du « stress professionnel ». Qu'est-ce qui vous a amené à vous spécialiser dans cette voie ?

Au-delà d’être un spécialiste du domaine, je suis avant tout un homme. Les expériences de vie comme les expériences professionnelles que j’ai eues m’ont convaincu de l’importance du bien-être et du bonheur pour la vie d’une personne, comme pour sa propre performance.

J’ai eu la chance d’être pilote de chasse de l’aéronavale, d’avoir une expérience sportive assez riche ainsi que différentes activités professionnelles. Dans toutes ces situations, j’ai pu voir les dégâts du stress et, à l’opposé, les résultats surprenants d’une implication, des efforts, de la responsabilité et de la performance d’une personne agissant dans sa zone de bien-être.

Notre pays confond souvent bien-être et «ne rien faire», farniente. Savoir prendre ses responsabilités de manager, avoir compris que monter en grade c’est gagner en devoir et pas en droit, trouver un sens à l’effort, avoir de la sollicitude et de la gratitude pour ses pairs et savoir prendre soin de soi et des autres sont autant de voies pour conduire une activité pleine de richesse sur le long terme.